Le Maroc de la «Nouvelle Ère» (1999-2011) Quelques faits marquants
Ceci n’est ni une chronologie exhaustive, ni un bilan officiel, ni un état des lieux définitif sur ce qu’un certain discours autorisé qualifie
de « nouvelle ère »,
en référence à la période en cours du nouveau règne au Maroc [1] . Il s’agit juste de quelques faits marquants des douze premières années qui nous séparent de l’ère Hassan II. Je précise que le
parti pris de cet effort de mémoire n’est pas tant d’insister sur les avancées très relatives de ce nouveau règne, que de pointer les sérieuses entraves qui annihilent celles-ci. Libre au lecteur
avisé de les compléter, les commenter ou d’y retrouver quelques éléments de causalité, qui lui permettraient de mieux appréhender l’actualité et, par la même occasion, de le conforter dans son
choix légitime de boycotter la mascarade électorale du 25 novembre prochain. Pour une approche méthodique, plus approfondie, rien ne vaut - et à plus forte raison cet article - le remarquable
travail d'Ali Amar, Mohammed VI : le grand malentendu. Dix ans de
règne dans l’ombre d’Hassan II ; éd. Calmann Levy, Paris, 2009.
***
1999 : Nouveau règne, nouvelles promesses, euphorie générale et, dans la foulée, annonce
d’un « nouveau concept de l’autorité ». Le régime multiplie les mises en scènes d’ouverture et fait miroiter des promesses d’une réforme de la monarchie sur le modèle espagnol. Une
agence de communication parisienne crée le slogan du « Roi des pauvres
», le succès est
immédiat.
2000 : Annonce de la découverte de grands gisements de pétrole à Talsint : euphorie,
délire collectif et, puis, silence radio ! La même année, l’ex capitaine Mustapha Adib qui avait dénoncé au paravent, dans une lettre au roi (au temps où il était prince héritier) des faits
de corruption dans l’armée, subit la vengeance de la hiérarchie militaire. Celle-ci n’avait pas apprécié ni l’initiative du jeune capitaine, ni ses déclarations à la presse étrangère (le monde du
16 décembre 1999). «Il est aussitôt traduit devant un tribunal
militaire qui le condamne, le 17 février 2000, à cinq ans de prison pour "violation des consignes militaires et outrage à l'armée" » (L’Express, 19.10.2000) [2]
2001 : Un scandale financier, dit du CIH, éclate et éclabousse au passage quelques
caciques de l’ère Basri. La même année, sort opportunément un livre d’un ex agent secret marocain sur l'affaire Ben Barka, [Ahmed Boukhari, Le Secret. Ben Barka et le Maroc, un agent des services spéciaux parle] : l’auteur y développe la thèse de la «dissolution» du corps de ce dernier
dans l’acide. Beaucoup y voient la main invisible de quelques anciens tortionnaires des années de plomb, encore en activité, qui chercheraient à influencer les développements judiciaires de cette
affaire, toujours en cours d’instruction. Dans un entretien au Figaro (4 septembre), le roi du Maroc confirme la tenue des législatives de 2002, dans le cadre de ce qu'il a qualifié de "monarchie
exécutive et démocratique" ...
2002 : Le Washington Post, dans son édition du 26 décembre, révèle que le Maroc
sous-traite la torture des présumés terroristes de Guantanamo pour le compte de la CIA. La même année aura été marquée par la crise maroco-espagnole de l’Îlot Persil / Leila : petit bout de
rocher inhabité, situé à 200 mètres des côtes marocaines et à six kilomètres à l’ouest de l’enclave espagnol de Sebta (Ceuta) et dont la souveraineté est disputée entre le Maroc et l’Espagne. Le
mois de septembre ont eu lieu les élections législatives : bien que les autorités n'ont jamais communiqué les résultats détaillés, le PJD devient la principale force d'opposition. Vers
la fin de cette année une violente répression s'est abattue sur des diplômés sans emplois qui manifestaient pour dénoncer le scandale «El-Najat», où des milliers d’entre eux ont
été escroqués par des intermédiaires peu scrupuleux contre des promesses fallacieuses de recrutement. Abbas El-Fassi, alors ministre des affaires sociales, est directement impliqué. Pourtant,
l’homme n’a jamais été inquiété depuis. Il va même bénéficier, plus tard, d’une réelle promotion, lui et son clan familial des "Al-Fassi" ...
2003 : Rapports accablants d'Amnesty Internationale (A.I) et de la Fédération
Internationale des Droits de l'Homme (FIDH) sur l’état des droits humains au Maroc. Le régime est ulcéré et réagit en créant l’Instance Équité et Réconciliation (IER). Il s’agit d’une instance
chargée de solder les graves atteintes aux droits de l’homme durant le règne d'Hassan II. Pourtant, les responsables de ces atteintes n’ont été ni nommés ni inquiétés et les recommandations de la
dite IER n’ont, à ce jour, pas été suivis d’effet. La même année, l'état marocain interdit les hebdo Demain et Doumane et condamne leur directeur, Ali Mrabet, à trois ans de prison fermes pour offense
au roi. Ali Mrabet sera gracié en janvier 2004.
2004 : Dans son rapport annuel, Amnesty Internationale (A.I) revient à la charge
pour dénoncer la persistance des faits de torture au Maroc, notamment dans l’enceinte de la fameuse prison verte de Témara. La même année, le régime crée les milices makhzaniennes des GUS
(Groupes Urbains de Sécurité), communément appelés «Croatia», dans le but de sanctionner les violences urbaines dues au développement inquiétant des effets de la pauvreté grandissante. Placées
sous la direction du général Hamidou Lâanigri, à l’époque chef de la sureté nationale, ces milices urbaines s’illustreront par leur violence anti-citoyenne et leur impopularité. Un an après
sa création, ce corps de police a été dissout.
2005 : Le journaliste Ali Mrabet est condamné à dix ans d'interdiction d'exercer son
métier de journaliste. L'hebdomadaire Tel Quel est condamné, à son tour, à une amende d'un million de Dirhams pour avoir osé critiquer le roi. Le régime marocain est accablé, encore une fois, par
une très mauvaise nouvelle : le PND relègue le Maroc au piètre 126ème rang dans le classement des pays dans l’indicateur de développement humain (IDH). Le Makhzen réagit en créant, la même année,
l’Initiative Nationale de Développement Humain (INDH), en vue de remédier à ses échecs dans les domaines de l’éducation, de l’accès à la santé et dans la lutte contre la pauvreté. Dans quelques
années, on en reparlera !!!
2006 : Procès Bin El-Ouidane (grand baron de la drogue) : ce nouveau scandale
provoqua l’arrestation de dizaines de gardés de la sécurité nationale, impliqués dans le trafic de drogue. Effet collatéral : Hamidou Lâanigri perd son poste à la tête de la sureté nationale et
il est aussitôt puni et rétrogradé inspecteur général des «Mroud» (les forces auxiliaires). Le 16 décembre, l'hebdomadaire arabophone Nichane est saisi et la rédaction est poursuivie pour
atteinte aux valeurs islamiques. En cause, un dossier consacré à l'humour populaire.
2007 : Élections législatives, avec un taux surévalué de participation de 37 %.
Abbas El-Fassi, leader du parti majoritaire (l’Istiqlal), devient 1er ministre et affirme dans la foulée, à la stupéfaction générale, que son gouvernement s’engage à mettre en œuvre le programme
qui lui sera dicté par le palais royal. Cette année va connaître les débuts de la Saga du clan familial «El-Fassi» qui investira beaucoup de ministères et beaucoup d’organismes
gouvernementaux, en guise de ce qui semble être un échange de bons procédés entre le régime et ses plus fidèles clients.
2008 : Nouvelles manifestations des diplômées-chômeurs et émeutes à Sidi Ifni,
réprimées dans le sang. Dans un climat explosif de tensions sociales, exacerbées par le chômage et par la pauvreté grandissante, le régime décide alors in extremis de renoncer à l’augmentation
des prix des denrées alimentaires. La même année verra l’entrée en scène d’un nouveau-né, dans la série des partis dits de l’administration, le PAM (Parti Modernité et authenticité). Fondé par
F.-A Himma, le PAM fit opportunément son apparition à la veille des législatives partielles du mois de septembre de la même année.
2009 : Élections communales. Sur les 13.360.219 électeurs inscrits, seuls environ
7.005.050 ont votés, pour une population globale de 32 million d’âmes !!! Ce qui permit au ministère de l’intérieur de gonfler le taux de participation à plus de 50 %. Les grands gagnants de
cette farce électorale sont le PAM (21% des sièges communaux), l’Istiqlal (19 %) et le RNI (14%), etc. Le Maroc, cette année, rompt ses relations diplomatiques avec l’Iran, officiellement
pour un motif insignifiant (déclaration des autorités de Téhéran sur le Bahreïn présenté comme «province iranienne»), mais la vraie raison réside dans «l’inquiétante» offensive des chiites au
Maroc. Pour les célébrations des dix- ans du nouveau règne, le palais donne ses consignes pour qu’elles se passent dans la discrétion, probablement pour ne pas prêter le flanc aux critiques qui
se font de plus en plus entendre, notamment dans la presse internationale, sur les promesses non tenues du nouveau règne : précisément dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la
justice, ainsi que dans la lutte contre la corruption. À défaut d’un bilan favorable, le journaliste marocain Ali Amar lance, la même année, un pavé dans la marre à travers la publication d’un
livre choc sur les dix ans du «nouveau» règne. Le titre du livre est, à lui seul, plus que révélateur : Mohammed VI : le grand malentendu. Dix ans de règne dans l’ombre d’Hassan
II ; éd. Calmann Levy, Paris,
2009.
2010 : Le site Wikileaks diffuse quelques câbles secrets (notes
des diplomates américains en poste à Rabat) sur l’étendue de la corruption dans les plus hautes sphères du régime marocain. La même année, Taïeb Cherkaoui et Taëb Naciri sont respectivement
promus ministre de l’intérieur et ministre de la justice, deux ministères dits de souveraineté. Par ailleurs, les autorités marocaines restent sous pression des ONG des droits de l’homme et, en
guise de geste d’ouverture, abandonnent la prohibition des prénoms berbères. Au mois de novembre, cent-cinquante parlementaires européens durcissent le ton avec le régime marocain à travers une
pétition, appelant à la libération immédiate du colonel Terzaz, ancien gradé dans l’armée de l’air condamné en 2008 à douze ans de prison fermes pour «atteinte à la sûreté externe de l’Etat en divulguant des secrets de la Défense
nationale»[3] (Tel Quel, n° 403 - 15 nov. 2011).
Son tord : avoir envoyé une lettre au roi dans laquelle il avait plaidé la cause de quelques soldats marocains, anciens détenus du Polisario, qui vivaient des conditions précaires depuis
leur retour à la «mère patrie».
2011 : Naissance du mouvement citoyen du 20 février, qui manifeste, depuis cette date
à nos jours, pour l’instauration d’une monarchie parlementaire, dans le cadre d’un régime démocratique proclamant le primat du principe de la Souveraineté populaire. Ces revendications ont
forcé la main au régime marocain qui, dans le contexte des révolutions arabes, a dû engager dans la précipitation une réforme constitutionnelle. Or, ni la procédure suivie par le
régime ni la teneur de la nouvelle loi fondamentale n'ont été à la hauteur des aspirations légitimes du peuple marocain. Dans ce climat tendu, les manifestations pro-démocratie se
poursuivent et s’amplifient malgré les intimidations des milices makhzaniennes des "Baltajis" et en dépit de la répression, des arrestations, des procès iniques et même le meurtre de pas moins de
douze militants. Présentement, la mobilisation se poursuit et milite pour le boycott des élections anticipées, qualifiés par beaucoup de «mascarade». Dans l’intervalle, un citoyen marocain. M.
Ahmad Benseddik s’est distingué par l’envoi d’une lettre ouverte au Roi, dans laquelle il lui annonce sa décision de retrait de la «Bei’a» (allégeance). Enfin, six ans après la création de
l’INDH, le PNUD rétrograde le Maroc au piètre 130ème rang mondial dans l'IDH pour l'année 2010. Tout ça pour ça !!!
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En guise de conclusion, cet effort de mémoire, je le répète, n’a aucune prétention à l’exhaustivité. Cela dit, conscients de l’impossibilité d’établir un bilan
sur la majorité gouvernementale sortante qui, nous le savons bien, ne détient pas la réalité du pouvoir et dont le chef s’était distingué en affirmant, à l’issue des élections législatives
de 2007, que son programme lui sera dicté par le palais, le seul bilan qui vaille, pour nous, n’est autre que celui du régime makhzanien comme tel. L'exigence d'établir un tel bilan s’avère,
aujourd’hui, d’autant plus pertinente que la nouvelle constitution ne change pas grand-chose à la nature autoritaire et anti-démocratique de ce régime. Forts de ce constat, le boycott des
élections législatives devient plus qu’un devoir citoyen, une exigence éthique envers nos martyrs et, plus généralement, envers tous les authentiques démocrates marocains qui luttent pour la
libération de notre peuple et pour un avenir meilleur : sans Makhzen, sans corruption et sans despotisme.
Karim R'Bati: Outlandish, le 15 novembre 2011
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[1] Une bonne partie des informations sont puisées dans l’ouvrage de Pierre Vermeren, Le Maroc de Mohammed VI, la transition inachevée, éd. La Découverte, Paris, 2011.
[2] «L’honneur Sali du
capitaine Adib», L’Express.fr. Édition du 19 octobre 2000.
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