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Le blog Citoyen

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POST TENEBRAS LUX


Le risible hommage espagnol en territoire marocain

Publié par Karim R'Bati sur 11 Juillet 2012, 15:03pm

Catégories : #ACTUALITÉ

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En cette période de crise économique où beaucoup d'Espagnols sont contraints et forcés de reprendre le chemin de l'exil, ce qui n’est pas sans rappeler l’exode massif des leurs durant l'époque de Franco (1936-1976), le gouvernement populiste de Mariano Rajoy - forcé d’appliquer des politiques d’austérités pour lesquelles il n’a reçu aucun mandat de son peuple - n’a pas trouvé mieux pour faire passer la pilule que de se livrer à une étonnante célébration d’une page infâme de l’histoire coloniale de son pays.
L’hommage posthume, qui a eu lieu il y a plus d’un mois, aurait pu passer inaperçu sans la divine surprise du journaliste espagnol Ignacio Cembrero [i] qui  s’interrogeait alors dans son blog sur l’opportunité d’une telle célébration, 91 ans après les événements : «Le gouvernement de l’Espagne, écrivait-il, vient d’accorder la plus haute distinction militaire au régiment des chasseurs d’Alcàntara, cavalerie 14, pour son héroïque comportement durant la bataille d’Annual contre l’insurrection du Rif, il y a … 91 ans» [trad. K.R’]
 Comportement héroïque ou pas, ces événements se rapportent à la guerre du Rif qui opposa, en territoire marocain, les tribus rifaines à l'armée coloniale espagnole entre 1921 et 1926 ; guerre durant laquelle l’Espagne avait subi d’humiliantes défaites, en particulier lors de la bataille d’Annual en 1921, avant de ne devoir son salut qu’à l’intervention de la France, en 1925. Sans quoi, le royaume d'Espagne d'alors aurait bu le calice du déshonneur jusqu’à la lie. Pour rappel, les deux armées européennes agissaient officiellement en vertu des accords du protectorat passés par le sultan du Maroc, Moulay Abd al-Hafid avec les deux puissances tutélaires.
«La bataille d’Annual, nous rappelle Demain online, a marqué le début de la Guerre du Rif (1921-1927) qui a opposé des résistants rifains menés par l’émir Mohamed ben Abdelkrim El Khattabi, à deux puissantes armées européennes, l’espagnole et la française. C’est durant la Guerre du Rif que fut utilisé, à l’instigation du roi Alphonse XIII, du gaz moutarde contre la population civile rifaine» [ii]
Certes, en cette période d’incertitudes grandissantes pour l'Espagne en crise, on peut comprendre que rien n'est moins coûteux pour le gouvernement populiste de Mariano Rajoy que de flatter la part maudite de la conscience historique de son peuple ; c'est-à-dire, pour nous, celle de l’équipée coloniale espagnole et de son cortège de massacres, de génocides et autres crimes contre l’humanité. Mais glorifier à titre posthume quelques dizaines de milliers de criminels de guerre, quatre-vingt-et-onze ans après leurs forfaitures, voilà qui dépasse l’entendement, surtout que le seul mérite que l'on peut concéder à cette bande de zouaves est d’avoir contribué à la plus grande débâcle espagnole du XXème siècle.
D’étonnement en étonnement, quarante jours après cet hommage infâme, rendu au nom de l’Espagne, nous venons d’apprendre que cette dernière a dépêché le dimanche dernier (le 8 juillet) son ministre de l’intérieur, Jorge Fernández Díaz, dans la région d’Al-Hoceima en territoire marocain, pour y effectuer en compagnie d’une délégation officielle un ultime hommage aux soldats espagnols morts dans la bataille d’Annual ; visite qui n’aurait pas été rendue possible sans l’autorisation inexplicable du ministre marocain de l’intérieur.
Pour appréhender cette énième incohérence qui règne au sein du gouvernement du «plus pays du monde», il suffit de demander à M. Mariano Rajoy s’ils accepterait d’autoriser à une délégation officielle marocaine de se rendre à Ciudad Réal en Castille, sous bonne escorte de la Guadia Civil, pour y célébrer, le prochain 19 juillet, le 817 ème anniversaire de la bataille de Alarcos (1195), qui opposa  les troupes almohades du sultan Ya’qub Al-Mansour à l’armée du roi Alphonso VIII. Certainement, ce serait une question légitime, ne serait-ce qu'en vertu du principe de réciprocité - même si l'on sait d'avance que les autorités de Madrid n'accepteraient jamais d'insulter leur peuple, alors pourquoi un  ministre du gouvernement marocain a-t-il autorisé un telle célébration sur le territoire national? 
En tout cas, tout laisse penser que ce projet de célébration quelque peu folklorique a été conçu et préparé de longues dates par le gouvernement du Partido Popular (PP), à des fins de risible cuisine politicienne interne, avant que ce dernier ne sollicite le feu vert des autorités marocaines. Le site d’info AlifPost nous rapporte même quelques détails pour le moins troublants [iii], selon lesquels la délégation espagnole aurait effectué la dite visite quasi-clandestinement, sous la haute protection de la gendarmerie royale. De telles précautions s’expliquent, sans doute, par le caractère provoquant, pour les Marocains, de cet hommage aussi anachronique qu’inopportun ; en particulier pour les populations rifaines meurtries, qui venaient à peine de subir de violentes répressions policières à Beni Bouayach, le mois de mars dernier [iv].
Outre le caractère insultant de cet hommage pour la mémoire du peuple marocain et pour les descendants des braves guerriers rifains morts au champ d'honneur, on ne comprend pas comment une page aussi humiliante pour l’Espagne et pour l'histoire ratée de son équipée coloniale, puisse être un motif de fierté pour les Espagnols aujourd'hui. Surtout si l’on rappelle que l’engagement de l'Espagne dans la guerre du Rif devait en quelque sorte effacer sa lourde défaite dans sa guerre avec les États-Unis (1895 - 1898), laquelle succéda à une autre débâcle coloniale, la «guerre d’indépendance cubaine». D’où ma perplexité : à quoi ça sert d’écrire et d’enseigner des histoires nationales, avec leurs gloires et leurs défaites, si leurs destinataires sont incapables d’en tirer des bonnes leçons pour les générations futures ?
 Karim R’Bati : Niederrikenbach (Suisse), le 11 juillet 2012

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[Quelques zouaves espagnols, rescapés de la bataille d'Annual, tenant dans leurs mains des têtes coupées de cinq Rifains, en guise de comportement héroïque, pour les besoins de la presse de propagande de l'époque]

 


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